Paysans ! Dossier Cultures Bio
À partir du 22/10/2019
Parmi tous les mots qui désignent les gens de la terre (agriculteur, producteur, fermier…), paysan est sans doute le plus ancré dans notre imaginaire collectif. Celui qui nous nourrit, le dernier rempart de l’écologie, le pollueur, le courageux, l’opprimé…, quelles représentations avons-nous aujourd’hui du paysan ?
Parmi tous les mots qui désignent les gens de la terre (agriculteur, producteur, fermier…), paysan est sans doute le plus ancré dans notre imaginaire collectif. Celui qui nous nourrit, le dernier rempart de l’écologie, le pollueur, le courageux, l’opprimé…, quelles représentations avons-nous aujourd’hui du paysan ?
Dossier par Christophe Polaszek
Céline Frachet - éleveuse de chèvres à Saint-Martin-d'Hères
C’est un peu « dessine-moi un mouton ». On pense savoir ce qu’est un paysan, une paysanne, mais quand on interroge son entourage, on reste surpris parfois des réponses.
« C’est quelqu’un qui vit coupé du monde, avec un vieil accent et un béret », assène Timothée, lycéen à Paris.
« Ça n’existe plus », coupe court sa tante Agnès, 31 ans, paysagiste à Marseille. Décidément, non ! Vous aviez une autre idée en tête. « Un paysan, c’est quelqu’un qui vit sur une ferme à taille humaine, parce que les autres, les exploitants agricoles, ce sont des industriels. » Tiens, la définition du grand-père, Denys, 71 ans, de Romans-sur-Isère, vous permet d’engager la discussion. Alors, quelle réalité se cache véritablement derrière ce mot ?
Pour mieux comprendre, il faut jeter un œil sur le passé. Du latin pagus (pays), le paysan est celui qui vit à la campagne et cultive la terre. À partir du XIXe siècle, le mot prend une tournure péjorative dans la bouche des citadins. « S’il n’y avait pas de paysans, vous mangeriez des clous ! », répondait le petit Raymond Depardon – le réalisateur de Profils paysans – à ses camarades qui le brimaient dans la cour d’école. Aujourd’hui, certains hésitent toujours à employer le mot. « C’est un peu désuet, je préfère le mot agriculteur… », confie Lucie Calu, 38 ans, médecin généraliste à Chartres.
La transformation
Peu à peu, les hommes politiques vont remplacer le mot paysan par cultivateur, moins connoté, puis par agriculteur, qui vient d’ager, le champ cultivé. L’expression exploitant agricole apparaît après la Seconde Guerre mondiale et marque un tournant. De nourricier, le paysan se transforme en technicien de la terre. On mécanise à tour de bras, les parcelles s’agrandissent, le développement de la monoculture et l’usage massif de pesticides finissent par détruire les écosystèmes. « Les choses ont mal tourné, raconte Mathieu Lancry, producteur et président de Norabio, groupement sociétaire de Biocoop. On a voulu produire toujours plus, les agriculteurs se retrouvant aux mains de grandes sociétés industrielles qui agissent en amont et en aval de la production. Sauf à se constituer en coopérative – comme les pionniers de Biocoop en 1986 –, ils perdent la maîtrise, et parfois le sens, de leur travail… »
La froideur des statistiques cache mal la violence de la disparition à marche forcée de la petite paysannerie : 6 millions d’agriculteurs en 1955, et seulement 900 000 en 2015 (chefs d’exploitation, conjoints, salariés permanents… Source : Agreste). Cet événement, « probablement le plus considérable qui soit arrivé dans toute l’histoire de l’humanité », écrit le philosophe Michel Serres dans sa préface de Écoutons les agriculteurs raisonner de Laurent Jézéquel, marque profondément nos représentations du monde agricole. « C’est une profession en souffrance, en crise, et qui ne parvient pas à en vivre », exprime Clémentine Bardel, 44 ans, parisienne, gestionnaire dans un groupe d’assurance.
41 653 agriculteurs bio
(2018, Agence bio)
Introspection
En réaction, de plus en plus d’hommes et de femmes revendiquent aujourd’hui le titre de paysan. Ils ne veulent plus dépendre ni de l’agrochimie (produits phyto, semences…), ni des marchés, ni des banques. Développée par la Confédération paysanne et la Fadear (réseau de l’agriculture paysanne), l’agriculture paysanne s’organise pour leur permettre de vivre de leur métier de façon durable et de « produire pour nourrir les concitoyens, et non de produire pour produire ». Biocoop milite depuis ses débuts pour cette démarche, respectueuse de la terre et des hommes.
De l’autre côté, alors que la pression de la société pour la protection de l’environnement et pour des produits sains s’accentue, la nourriture se transforme en objet de suspicion. Et le consommateur veut savoir où il plante sa fourchette. « On sent bien que les jeunes paysans ne veulent plus travailler de la même façon que leurs parents. Beaucoup se mettent à la bio et veulent reconnecter le consommateur à son alimentation »,constate Mathieu Lancry. Ainsi, le métier s’enrichit d’un rôle pédagogique. Déjà, parce qu’il privilégie la vente directe et les circuits courts, et se rapproche des consommateurs – ces derniers peuvent ainsi poser plus facilement des questions sur les modes de production. Par ailleurs, il crée des passerelles entre agriculture, culture et tourisme, en pratiquant notamment l’accueil à la ferme.
« Un paysan, par définition, est ancré dans son territoire. Sa ferme ne peut pas être délocalisée. »
Mathieu Lancry, producteur bio de légumes et de volailles près de Cambrai (59) et président de Norabio, groupement agricole sociétaire de Biocoop.
Un nouveau paysan
Connectés, ces paysans n’hésitent pas à se livrer à des expérimentations. Ils introduisent des savoir-faire issus de l’agroécologie, de la permaculture ou encore de l’agroforesterie, des techniques très souvent employées dans l’agriculture bio ; ils multiplient par exemple les prairies ou encore les rotations de cultures, grâce à des plantes de couverture, afin d’augmenter naturellement les apports organiques et limiter ainsi l’érosion. Il n’est pas question cependant de revenir à l’agriculture de nos arrière-grands-parents, comme le ressent Michel Blanchet, 72 ans, retraité dans le Vercors : « On retrouve l’agriculture des années 1950, de petites surfaces et moins de pesticides. » Il s’agit plutôt de tirer parti au maximum des fonctions naturelles des milieux, des méthodes traditionnelles parfois oubliées et des outils high-tech (GPS, logiciels…).
Pierre Rabhi écrit en 2002 sur son site : « […] un nouveau paysan et une nouvelle paysanne sont en train de naître. Ils réuniront dans la même conscience le savoir scientifique et technique mais aussi la sensibilité poétique, l’amour et le respect de la mère terre, et ce sentiment à la fois subtil et transcendant que l’on nomme le sacré ». Et l’écrivain de souligner que les paysans, plus que tout autre groupe social, sont les gestionnaires de la biosphère. Une tâche qui nécessite l’appui de l’ensemble de la société. Ce qui suppose, entre autres, de casser certaines de nos représentations…
Retrouvez le dossier complet dans le n°107 de CULTURE(S)BIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou consultez sa version digitale ici